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21 Juin 2008
Chapitre 3 : Le piège sentimental
A aucun moment dans la saga Matrix, il n'est formellement établi que les machines sont " méchantes ".
Si les propos de Morpheus évoquent un conflit d'espèces (" Nous ignorons qui a commencé le premier "), le paradoxe veut que les images d'horreur concentrationnaire de la Matrice nous
montrent avant tout des machines qui prennent soin de leurs " humains " (ensemencement, récolte, bébé nourri).
Une simple seconde de raisonnement permettrait à n'importe quel spectateur de se souvenir de l'évidence, à savoir qu'une machine est dénuée de sentiments et que ses actions sont guidées par la
pure logique. Mais la vitesse avec laquelle sont dispensées les informations d'importance, à un point clé de l'histoire (la découverte de la Matrice) empêche matériellement cette seconde de
raisonnement.
Les Wachowski vont jusqu'à se permettre une prise de risque non
négligeable :
Alors que Neo découvre la terrible " réalité ", une sentinelle le repère, s'approche de lui, l'empoigne par le cou et le scanne. A cet instant, le spectateur, déjà conditionné à l'idée
que les machines sont mauvaises, craint pour la vie de Neo. Car si un humain évoluant hors de la Matrice est un danger pour les machines, il est bien évident que cette machine devrait s'assurer
immédiatement de la mort de l'humain. Pourtant, la sentinelle choisit de libérer Neo de son cocon, et l'envoie dans une fosse sceptique où le vaisseau de Morpheus vient le récupérer.
Incohérence ? Raccourci scénaristique maladroit ? Difficile de le croire. Le script des Wachowski a été unanimement salué par les professionnels qui l'ont parcouru comme étant une
véritable merveille de logique. Mais le fait est qu'à cet instant du métrage, l'intuition sentimentale a déjà très largement pris le dessus sur les déductions logiques du
spectateur.
Le sentiment naturel d'empathie vis-à-vis de l'espèce humaine
remplit donc son rôle de façon quasi-instinctive. Ce qui nous est présenté comme humain (le héros) devient notre référent, et tout ce qui s'oppose aux projets de ce référent est forcément un mal.
Par le simple fait qu'elle empoigne Neo par le cou et qu'elle lui fasse mal, la sentinelle établit sa " méchanceté " aux yeux du spectateur. Il s'agit là d'une émotion basique,
infantile, qui rend " méchant " ce qui provoque la douleur. L'idée que la sentinelle permette ensuite, avec une telle nonchalance, que Neo rejoigne le camp des rebelles est aussitôt
refoulée, censurée, la proposition que cela induit étant trop complexe pour être prise en compte à cet instant.
Une des séquences les plus agressives, au plan émotionnel, de la saga Matrix, se trouve sur le DVD d'Animatrix, dans l'épisode Second Renaissance part1. C'est également une des séquences les plus
explicites quant à la nature réelle de l'enjeu entre la fiction et le spectateur.
La séquence en question voit un groupe d'hommes belliqueux maltraiter et déshabiller une femme, la tirer par les cheveux (la femme porte une robe rouge, couleur associée à la vérité dans
l'univers Matrix). Le cadre est chancelant, la mise au point hésitante, reproduisant celle d'une caméra de télévision saisissant l'horrible instant.
Au moment où l'un des agresseurs saisit une barre de fer et assène un coup violent sur sa victime, celle-ci perd une partie de son visage, révélant une carcasse de robot sous le cuir de la peau.
La brièveté de l'instant provoque chez le spectateur un double
réflexe émotif.
1/ Le coup asséné par l'agresseur entraîne un réflexe de compassion du spectateur vers la victime.
2/ La vraie nature de la victime provoque un réflexe de surprise.
Or, sur cette fraction de seconde, le spectateur n'a pas eu le temps de " consommer " son émotion compatissante qu'elle doit céder la place à l'émotion de la surprise. Mais plutôt que
de s'annuler, ces deux émotions se mélangent. Pour la seule fois dans la saga Matrix, le spectateur réalise consciemment qu'il a été trompé sur l'objet de son émotion (une machine et non pas un
humain) sans pour autant renier la vérité son émotion.
La compassion se prolongera même sur le reste de la séquence, lorsque la victime-machine implorera ses bourreaux de l'épargner en faisant valoir. son humanité.
Sur à peine quelques secondes de métrage, Second Renaissance lance plusieurs messages à son audience :
1/ Vous avez eu de la compassion pour un humain.
2/ Vous avez été dupé sur la nature de cet humain car c'est une machine.
3/ Malgré la duperie, vous ne pouvez pas nier la réalité de votre compassion.
4/ Cette machine est elle-même persuadée d'être humaine, aussi dupée que vous.
5/ Votre compassion se justifie car vous partagez la même expérience émotive que cette machine.
D'une certaine manière, cet épisode est une répétition de la révélation qui se profile.
Source : matrix-happening